Ami Lecteur, je t'ai déjà parlé de Sa.
Elle est nouvelle dans notre école, a un sacré caractère, un superbe sourire, une vitalité extraordinaire, et fait des colères noires qu'elle ne maîtrise aucunement.
Malgré une demande pressante de rencontrer les parents, nous ne sommes pas encore parvenus à les avoir en rendez-vous...
Ça faisait un petit moment que Sa allait plutôt bien, ne répondant pas en classe (ou presque pas), participant avec plaisir et faisant le travail demandé à peu près dans les temps. Bon, rester assise à sa place, c'est encore trop lui demander... La contrer de front, c'est encore risqué. Mais enfin, de net progrès avaient été constatés, encourageants (pour nous, ses maîtresses !).
Et voilà que vendredi, on me rapporte que, sur l'heure du déjeuner, Sa a fait à nouveau une grosse colère : Jorja passant près d'elle l'avait bousculée sans mauvaise intention et s'était excusé à la seconde même, mais la demoiselle ne l'avait pas entendu ainsi et menaçait de lui sauter dessus pour lui expliquer la vie à sa manière. Fort heureusement, trois adultes s'étaient interposés et l'avaient menée tant bien que mal (trois adultes !) jusqu'au bureau de Madirlo où elle avait pu prendre le temps de se calmer, de retrouver son état normal et d'expliquer son problème.
Le tout avait été résolu en dehors de ma juridiction...
Seulement Sa, après cet épisode, est restée sur position "haut voltage". Aussi, quand j'ai fait sortir mes élèves pour la récréation de l'après-midi, et qu'Al a "traité sa mère" ("Mais non, j'te jure, Sa ! C'est pas à toi que je parlais ! J'te jure, Sa !"), elle est entrée dans une rage folle et a décidé de le faire disparaître de la surface de la terre.
Fort heureusement, dans ces cas-là, il y a toujours quelques bonnes âmes (téméraires) parmi les enfants pour retenir le bras vengeur de Sa et me permettre de prendre le relais. J'ai intimé l'ordre à Al de disparaître puis, comme d'habitude, j'ai ceinturée étroitement ma furie et j'ai commencé à lui parler à l'oreille pour la ramener sur terre. Seulement j'ai fait une erreur : au lieu d'être face à elle, je l'ai serrée dans mes bras, son dos contre mon torse. ET j'avais à nouveau mes jolies petites chaussures à talon, babies en daim noir...
Imagine la scène, Ami Lecteur : Sa, toujours gouvernée par sa colère, s'est mise à progresser vers la porte par laquelle avait disparu Al. Et moi, presque sur son dos, pieds parallèles bien écartés pour garder l'équilibre (vive le ski !), j'étais TRACTÉE, glissant irrémédiablement sur le lino de la classe, sous les yeux ébahis de deux élèves retardataires... Et je riais ! Je riais malgré la colère de Sa et sa force herculéenne ! Et je lui disais : "Mais regarde, Sa ! On ne va tout de même pas traverser toute l'école comme ça ! Tu n'es pas mon chien de traîneau ! Enfin ! De quoi on a l'air, toutes les deux ???".
Je suis parvenue, en passant, à m'agripper au chambranle de la porte de classe pour faire une pause, puis je l'ai enfin stoppée dans un angle, où elle a fini par s’effondrer sur une chaise, pleurant toutes les larmes de son corps, "parce qu'Al n'avait vraiment pas été gentil de traiter [sa] mère, vraiment vraiment pas gentil !".
Nous avons discuté calmement pendant un petit moment. Elle s'est excusée pour avoir (encore) ruiné mes chaussures et a fini son après-midi tranquille, sans plus d'histoire.
...Lundi matin, on téléphone à ses parents : ce serait quand même bien qu'on puisse les voir à la fin !
11 commentaires:
Colère, impulsivité, difficultés de concentration, bougeotte, ça me fiat penser à mon fiston avant sa prise en charge ça!
Arc en ciel...
en fait ton histoire à la fois me fait rire (bien sûr je vois tout à fait la scène ;)) ) et à la fois me rend un peu triste (à ce niveau là est-ce encore la raison?)
Commentaire en demi teinte donc, et sinon pour (première?) une fois je me dis "dieu merci je suis infirmier"
;))))
a+
yann
Je ne devrais car il y a de la détresse dans cette histoire, mais .... je me marre sur mon clavier, en imaginant la scène ! Bon courage
> Sosso
En fait, je ne crois pas qu'il s'agisse du même profil. En revanche, j'en ai un autre dans la classe qui colle parfaitement avec ce que tu décrits, c'est Al, dont je parle aussi ici !
> Yann et Anonyme
Bien sûr qu'il y a de la détresse. Et j'y suis d'autant plus sensible que j'ai une vraie affection pour Sa qui me fait craquer (dans le bon sens !). C'est pour ça que je veux absolument voir ses parents : afin de pouvoir aider Sa au mieux.
...
Mais j'ai également besoin d'en rire. Ça m'aide...
Ça parait quand même invraisemblable que tu ne puisse pas voir les parents :-(
> Tili
C'est le problème de l'internat : certains parents "jettent" leur enfant le lundi matin tôt... ou au contraire tard, alors que la classe a déjà commencé. Et viennent les rechercher le vendredi soir tard. Ou envoient une cousine, un grand frère... Et si on n'arrive pas à les choper en rendez-vous, c'est très compliqué pour les voir !
Il va sérieusement falloir penser à investir dans des chaussures de sécurité. (Et protégeons les daims - non, je rigole là).
Il y a un dessin pile poil adapté à ton cas aujourd'hui chez Jack: http://www.dangerecole.blogspot.com
> La maîtresse des petits
Oui, enfin, quand je dis en daim... hum ! Tu vois hein ! Façon de parler ! :o)
J'ai vu le dessin de Jack ;o)
j'ai qd même rigolé!!!! mais dis donc, c'est sportif!
> Mamyvette
Ça, pour être sportif, c'est sportif ! :o)
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