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vendredi 24 septembre 2010

Chronique d'une journée ordinaire

Arrivée à 8h15 : je suis responsable de l'accueil du matin, sur la cour, jusqu'à 8h30.

8h20, tout en surveillant les premiers arrivés, entretien avec la responsable d'internat de mes "petites". Ça semble aller plutôt bien, côté filles. Quelques rivalités habituelles, mais rien de grave. Le responsable garçon a l'air plus fatigué. Des remaniements dans les unités sont prévus pour la semaine suivante.

8h25, la mère d'Ann, malentendante, voudrait me parler pour que j'essaye une nouvelle fois le système VHF permettant à sa fille d'entendre ma voix directement dans ses appareils auditifs. C'est le troisième essai. Elle me rappelle que je dois éteindre l'appareil si je veux parler en aparté avec un élève puni, ou si je vais... aux toilettes pendant la récréation : être dans deux espaces différents n'empêche pas les ondes de circuler :o)

8h30, la cloche sonne. Je dois déjà agir avec la plus grande fermeté pour que les CE2 se mettent en rang. Il y a, dès le matin, des tentions entre plusieurs enfants : nous sommes vendredi, et l'internat est un système en vase clos...
Doudou vient me voir alors que j'attends que les élèves se rangent. Il m'annonce que quelqu'un lui a lancé un marron. Je lui demande qui ? Mais l'émotion de l'agression est déjà trop forte pour qu'il continue à me faire face. Sans répondre, il quitte le rang et va se réfugier entre les poubelles et les toilettes. Heureusement, Lamaîtressed'aide, qui avait proposé de passer une partie de la matinée en coanimation dans ma classe, gère la situation pendant que je fais avancer le rang.

8h35, nous entrons en classe et les rituels se mettent en place : appel, minute de silence, calcul mental, phrase de dictée guidée...
Tout ça demande beaucoup de temps, d'énergie, mais grâce à la présence de Lamaîtressed'aide, on avance tant bien que mal. Elle est ici pour veiller spécialement sur Mo, de retour d'une mise-à-pied de deux jours.
In peto, je me vois avec un tabouret dans une main, un fouet dans l'autre, et la peau de bête au travers de la poitrine.

[Aparté :
En concertation lundi matin, nous avions décidé que Mo allait faire l'objet d'une période probatoire : nous nous donnions trois semaines pour savoir si nous étions capables de le faire sortir de sa toute-puissance infantile. Il devait travailler en tête à tête l'après-midi même avec Lamaîtressed'aide, afin de déterminer sur quels points il allait porter son effort. Elle rédigerait avec lui un contrat de comportement, qui serait visé chaque fin de semaine par l'enseignante et signé par les parents.
Malheureusement, dès l'après-midi, il a été insupportable en classe et s'est vengé des remontrances de Mamoitié en se jettant, pieds en avant et à cinq reprises, sur la porte extérieure de la classe dans le but évident de la briser. Qui l'a suivi dans cette entreprise ? Zozo, bien sûr ! Et ils s'enfuyaient à toutes jambes quand Mamoitié essayait de trouver les coupables.
Quand elle a fini par les surprendre avant qu'ils ne se carapatent, Zozo a courbé l'échine, mais Mo s'est enfui. Mamoitié, changée en dragon cracheur de feu (très impressionnant !), l'a rattrapé et lui a demandé des explications. Il a tout nié en bloc et l'a traitée de menteuse. Lorsqu'elle a voulu qu'il la suive chez Madirlo, il s'est débattu, l'a griffée et pincée tout le long du trajet.

Dans Notrécole, quand un enfant est violent envers un adulte, la réponse est immédiate et sans appel : mise-à-pied de deux jours. C'est une limite infranchissable. Pas de négociation. Aussi, lorsque la mère est arrivée le mardi soir pour son rendez-vous avec Madirlo et toute l'équipe jour/nuit s'occupant de Mo, elle a été mise au courant de la période probatoire ET de l'exclusion provisoire prenant effet immédiatement : elle est repartie avec son fils !
Fin de l'aparté].

Ce vendredi matin, donc, Lamaîtressed'aide a pris le temps de relire son contrat avec Mo avant que les activités ne commencent. Puis elle est restée presque constamment à ses côtés pour le recentrer sur la tâche, discrètement mais fermement.

9h15, elle quitte la classe : un groupe d'élèves en difficulté en CE1 attendent qu'elle vienne s'occuper de lui.

9h17, je remarque que Mo a une feuille pliée en quatre dans les mains, à peine camouflée par la case : il s'agit d'un pétard. Correctement manipulée, d'un coup sec vers le bas, la feuille se déplie produisant une détonation. C'est un des jeux préférés de Mo : actionner ses munitions quand l'enseignante a le dos tourné, et inciter les autres à le suivre dans cette voie, afin de brouiller les pistes et d'asseoir son autorité de meneur. Je lui demande de mettre ses mains sur la table.
Ham, enfant fragile et instable, est fasciné par Mo. Je n'arrive pas à le mettre au travail. Il est sous son emprise et attend les ordres.

9h30, alors que j'ai déjà sollicité Mo plusieurs fois pour qu'il travaille, j'entends un claquement sec : un pétard a été actionné. Mo accuse immédiatement Ham, qui entre dans une fureur désespérée et clame son innocence. Ils ont tous les deux des munitions dans leur case. Je les emmène auprès de Madirlo pour qu'elle gère l'affaire. Ham hurle à la mort ; Mo arbore son air de victime offensée. Je prends le risque de laisser ma classe sans surveillance pendant 3 minutes, et reviens en courant ("Elle arrive !!!").

9h40, le cours reprend, l'ambiance est électrique. Al fait une colère parce que j'ai refusé d'accéder à une de ses demandes (jouer aux cartes, aider en maternelle, que sais-je... ça n'était pas le moment). Il commence à éparpiller ses affaires, à shooter dans son sac, à s'installer dans un rayonnage de l'étagère, en position foetale. Je décide que je ne peux plus perdre du temps à négocier : je le place en face de ses responsabilités, lui laissant le choix de pourrir la situation en poursuivant dans son caprice de 2 ans, ou de maîtriser sa colère, la mettre dans sa poche et reprendre les activités avec nous. Ca tombe bien : je viens de changer mon fusil d'épaule et fait faire à tous les enfants des exercices de relaxation. Bon sang, que ça fait du bien !
Al, dont je ne m'occupe plus, reviens parmis nous : 1ère victoire de la journée ! Il a réussi a s'arracher aux ricanements de Zozo qui vient se moquer jusque sous son nez, et à reprendre pieds dans son "métier d'élève".
Je profite de ce temps de rémissions pour une lecture plaisir que tous apprécient : c'est une seconde victoire ; un temps partagé, sans histoires, sans regards noirs, sans tentions...
Ca sonne !!!
Récré !
...
...
Je n'ai fait que le quart de la journée et suis déjà entamée.
On est vendredi et il n'est que 10h10.
La suite demain.

8 commentaires:

Sosso a dit…

Ah ouais quand même!!! ;-)

Anonyme a dit…

hello Marie!
En te lisant je crois reconnaître mes journées de classe épuisantes de l'année dernière.... je te souhaite tout plein de courage pour affronter tous les jours ta bande de zozos en folie...et profite bien de tes week ends pour récupérer...
Sophie (ex élève de St M et ex bb sitter ...) ;-)

Anne a dit…

Heureusement que tu es à mi temps!!!

titane a dit…

Je t'envie. Nan, je suis sérieuse.
Parce que dans la plupart des écoles, pas de maîtresse d'aide pour aider à gérer un conflit soudain.
Et pas de possibilité de "mise à pied" d'un élève même s'il a agressé un adulte.

flo a dit…

bravo pour ton courage. est ce que toutes les classes de ton école sont comme ça ?

*Kati* a dit…

Euh... peut-être qu'avec ce groupe c'est une "maîtresse d'aide" à temps COMPLET qu'il faudrait?!?!

Quand je lis ça, je me dis que mes turbulents pénibles sont des petits anges...! Est-ce que vous avez un stock de calmants offert à la rentrée (... pour vous!!!)?

Mistinguette a dit…

> Sosso
Oui, comme tu dis... :o)

> Sophie
Je suis heureuse qu'une de mes anciennes élèves vienne commenter ici ! Et j'espère que ce sont tes bons souvenirs de StM t'ont amenée à choisir l'enseignement !
Merci pour tes encouragements.

> Anne
Oui, heureusement. A vrai dire, j'ai choisi cette école et son formidable projet PARCE QUE je savais que j'y serai à mi-temps...

> Titane
Tu as parfaitement raison : si je travaillais dans une école publique, j'aurais sans doute moins de latitude pour gérer ce genre de problème. J'apprécie cette souplesse à sa juste valeur. Sans en abuser...

> Flo
Non, toutes les classes de Monécole ne sont pas comme ça. Mais chaque année, il y en a au moins une qui sort du lot, et qui mobilise toute l'équipe. Cette année, c'est la nôtre ! :o)
Et de façon générale, nous accueillons un public assez fragile... c'est le projet de l'école. Et les services sociaux nous connaissent bien. Ils "tentent" Monécole en espérant que ça permettra d'éviter l'internat éducatif...

> Kati
Oui, c'est exactement ça : l'an passé, j'avais une AVS à plein temps et c'était royal !
Je rêve d'une aide-élémentaire, comme on a une aide-maternelle... !

Mistinguette a dit…

> Kati encore...
pas de calmants, mais une chocothèque très fournie et quotidiennement renouvelée !