Ami Lecteur, cette année, mon challenge, c'est Nat.
Nat qu'on avait déjà en CP l'an passé.
Qui a terminé l'année dans des conditions très difficiles.
Que sa mère espérait récupérer à la maison. Le jugement rendu en a décidé autrement : pour que la mère puisse se reconstruire paisiblement, pour que l'enfant trouve des repères stables, il est préférable qu'il reste en internat, dans notre école.
Nat qui a tant de mal avec la contrainte, avec le travail, avec l'idée d'être en échec.
Nat, un charmant petit blond, qui vocifère, tape et crache sur les adultes...
Et pourtant, la semaine dernière, vendredi, deux petites victoires qui m'ont parues énormes après les luttes de la semaine passée.
1er épisode : Sim, assis face à Nat en classe, pleure ; Nat a gribouillé son cahier, qu'il tient avec tant de soin.
J'attrape Nat. Nous négocions beaucoup avec cet enfant, pour qu'il accepte de se mettre au travail, pour qu'il ne perturbe pas le groupe, pour qu'il gère ses émotions, pour qu'il accepte le cadre...
Mais certaines choses sont non négociables. Saboter le travail d'un autre en est une.
Je l'attrape donc, par le bras et l'entraine rapidement devant la porte extérieure de la classe, lui signifiant vertement qu'il vient de faire une chose inacceptable et que, de ce fait, il ne peut pour l'instant pas rester dans le groupe. Je sais que je prends le risque d'une crise de fureur incontrôlable.
Je reprends la classe avec les autres.
Du coin de l'œil, je vois Nat attraper son cartable rangé près des porte-manteaux et commencer à mettre les affaires de son casier dedans.
Je viens vers lui et lui signifie mon désaccord : il doit rester dans la classe jusqu'à ce qu'il soit capable de regagner le groupe et de se mettre au travail.
Il fulmine, et me dit que non, il va partir !
Toujours du coin de l'œil, je le vois ouvrir la porte, son cartable sur le dos. Je le rejoins :
- Tu veux partir Nat ? Très bien, vas-y ! De l'autre côté du jardin, il y a Madirlo : va lui dire pourquoi tu fais pleurer Sim, pourquoi tu sabotes son travail, pourquoi tu empêches la classe de travailler ! va !
Ou bien, tu as le choix : reviens en classe, et mets-toi au travail comme les autres !
- Ca, jamais !
- Je ne veux rien entendre, je ne m'occupe plus de toi : c'est toi qui choisis. Tu pars, ou tu rentres et tu travailles.
Je reprends la classe. On avance. Je regarde par le fenêtre mon Nat, son cartable sur le dos, face au jardin, fulminant mais toujours là. Indécis. Ce qui est excellent : il réfléchit ! Il pèse le pour et le contre.
Cinq minutes plus tard, il pose discrètement son cartable et regagne sa place. Certes, il fait du bruit, annonce haut et fort qu'il veut travailler, exige que l'AVS ne s'occupe que de lui... mais il se met au travail !
Aaaaaaaaaaaaaaah ! Que c'est bon !
2nd épisode : Fin de journée. J'apprends au moment de faire sortir les élèves qu'Ant a échangé quatre cartes Poketruc avec Nat, contre une magnifique petite voiture.
Sache, Ami Lecteur, que pour éviter les drames, et principalement parce que les drames sont la plupart du temps générés par Nat, nous avons interdit tout don ou échange : on a le droit de venir avec UN petit jouet de la maison, ou 5 billes, ou 5 cartes et on repart avec les mêmes le soir. Si on joue aux billes, et qu'on gagne, on redonne sa bille à son copain. C'est pour du beurre.
Aïe ! Redrame en perspective !
Je prends donc les deux enfants en face de moi, et je leur rappelle la règle...
- Mais je les ai échangées les cartes d'Ant ! rétorque Nat, quand je propose de faire la démarche inverse.
- Tant pis : tu vas choisir parmi les 7 (7 ???) cartes que tu as en main les cinq que tu vas rendre à Ant et lui va te rendre ta voiture.
- Mais alors... j'en aurai presque plus ! J'en aurai que 3, cartes !!! Non, non, non, j'veux pas !
- Ecoute, Nat, soit on refait l'échange, tu choisis 4 cartes, et tu récupères ta voiture, soit je prends tout et tu n'as plus de cartes du tout !
- NON !
Hop, je prends les cartes, la voiture, et je vais à la porte du hall gérer les sorties : Bonjour Madame ! Vous venez chercher qui ?
Nat et furieux. Il pleure sur le banc. Il finit par se lever, vient jusqu'à moi et commence mollement à me taper pieds et poings.
Je le prends par la main et l'emmène à nouveau discuter sur le banc, un peu plus loin :
- Nat ! Tu as le droit d'être en colère, tu as le droit d'être déçu et malheureux, mais tu n'as pas le droit de me taper ! Alors, tu veux les récupérer, tes cartes et ta voiture ? Oui ?
- Oui ! Dit-il en pleurant.
- Alors regarde, on va choisir ensemble celles que tu vas rendre à Ant, d'accord ?
- D'accord.
ET IL LE FAIT ! Il choisit 4 cartes, les donne à Ant, et je lui rends sa voiture.
- En plus, elle est magnifique cette voiture ! Quelle chance tu as de l'avoir !!!
- C'est Maman qui me l'a donnée à mon anniversaire !
- Chouette ! Je suis bien contente pour toi, et je suis fière parce que tu as réussi à dompter ta colère !
Aaaaaaaaaaaaaaaah !
Deux petites victoires dans un champ de bataille sans fin, mais KESKE CA FAIT DU BIEN !
9 commentaires:
Jamais tu n'as envie de piquer une colère toi aussi ! Tu m'épates :-D Bisous
Chère Mistinguette,
Cela, c'est le grand avantage de connaître ses élèves (et d'avoir de la psychologie): je suis certain qu'un vrais petit "dur" (zut, je ne trouve pas le mot idoine!) aurait eu d'autres réactions!
Ma femme (ancienne institutrice) a, dans son jeune temps, enseigné dans une petite école où les enfants des six années se côtoyaient dans un même local. Elle aurait eu du mal à prendre un gosse à part pour "discuter" avec lui.
Je crois que la difficulté est de faire comprendre à un enfant aux parents instables, ce qu'est la réciprocité.
Citation: "Le lièvre en veut à la montagne, et la montagne ne lui en garde pas rancune." (Proverbe turc)
Amitiés
Tu devais avoir des feux d'artifice dans la tête!
> Stef
Mais siiiiiiiiiii ! Et c'est pourquoi les petites victoires sont si appréciables : elles sont des victoires reconnues de l'enfant, mais aussi de l'enseignante -moi !- qui a su prendre du recul et proposer ce qu'il fallait quand il le fallait !
Je ne suis pas superwoman !
:o)
> Armand
Mais chez nous aussi, ils se côtoient dans un même local ! Et pas très grand, le local... mais il a l'avantage de donner sur un jardin, ce qui est TRES appréciable, surtout dans une grande ville comme la nôtre !
Merci pour le proverbe : il me convient très bien !
:o)
> Zozo
Ouiiiiiiiii ! Feux d'acréfices !
:o)
Et toujours cette tendresse pour tes élèves qui me touche tant...
Bravo à Nat : qu'on soit petit ou grand, même avec de l'aide, c'est parfois si dur de dompter sa colère.
Allez, je t'embrasse, tiens !
Ca fait du bien hein?!
> Céleste
Merci de ton regard sympathique.
Je pense qu'on ne peut pas enseigner sans aimer ses élèves. Je m'y efforce !
:o)
> Le dino
OUI ! Surtout quand il faut recommencer le lendemain...
:o)
Oh que oui, ça fait du bien... des fois ça fait même dresser les poils des bras, n'est-ce pas ?
Quelle patience tu as dis donc... suis pas sûre d'avoir la même.
Et by the way : BON ANNIVERSAIRE !!! et bonne journée à toi, remplie de plein de petits bonheurs ! :-D
> Mimi
Merci amie !
Bonne journée.
:o)
Enregistrer un commentaire