Ami Lecteur, laisse-moi te raconter une histoire comme on n'en trouve que dans les écoles... (ou pas !).
Lorsque je suis arrivée mercredi matin en classe, les enfants m'ont annoncé de Bil était absent parce que, la veille, pendant la récréation de midi, il s'était battu avec Sam, sur le bon conseil d'Al ; et il avait malencontreusement rencontré brutalement l'angle d'un mur avec son front... d'où les urgences et quelques points de suture...
Je prends acte et, chiffonnée par l'intervention d'Al dans cette histoire, j'annonce à la classe que le lendemain matin, jour plus propice pour débattre avec tous, nous aurions un conseil de classe afin de comprendre ce qui s'était passé, d'énoncer la responsabilité de chacun et de trouver ensemble comment éviter qu'une telle situation se reproduise...
Bien m'en a pris : entre ce début de matinée et le conseil de classe prévu, deux familles se sont manifestées auprès de Madirlo pour dire leur grande inquiétude, voire leur profonde angoisse à propos de ce qui se passait dans cette école pendant les récréations... Deux familles qui prennent rendez-vous, ça veut dire dix familles qui ragottent fébrilement sans aller plus avant dans leurs démarches...
Voici ce qu'ils ont répété à Madirlo, appris de la bouche de leurs enfants :
Sam a empoigné la tête de Bil et l'a violemment, à plusieurs reprises, fracassée au sol.
Les pompiers sont venus dans l'école.
Le samu est venu dans l'école.
Il y avait du sang partout, il a fallu recoudre la tête de Bil.
Bil s'est ouvert le crâne sur des clous dépassant d'un banc.
Et d'ajouter que ça n'était pas la première fois que Sam faisait parler de lui et qu'il était temps de "faire quelque chose".
Que leur enfant avait fait des cauchemars la nuit qui avait suivie le drame.
Que leur enfant ne voulait plus venir à l'école, parce qu'il avait trop peur.
Et qu'en plus, Madirlo n'était même pas là ce jour-là pour veiller au grain... limite si on ne s'étonnait pas qu'elle ne soit pas aux prises avec la police et la justice tant la violence qui s'était déchaînée ce jour-là dans la cour avait atteint des paroxysmes.
...
...
J'ai passé une heure pleine avec mes élèves pour que nous décortiquions ensemble chaque événement, chaque responsabilité, minute par minute.
Voici le récit de ce qui s'est passé réellement, rapporté par des témoins directs ; les enfants ne faisant que répéter ce qu'on leur avait dit étant systématiquement écartés.
Sam jouait au foot avec Sach qui, malencontreusement, lui a donné un coup de pied (intentionnel ? peu importe). Sam s'est mis alors en colère et a décidé d'arrêter de jouer avec Sach.
Ce dernier, contrarié, est allé raconter sa mésaventure à son ami Mo, alors qu'il était entouré d'une "bande" qui s'est tout de suite sentie concernée par cette histoire... alors que personne ne leur demandait de s'en mêler. Ils ont alors entouré Sam, faisant cercle autour de lui, sous prétexte de "régler l'affaire". C'est alors que Bil est intervenu à sa manière : il a sauté sur Sam et lui a donné des baffes !
Autour, ils ont frétillé et Al a crié BASTON ! (AARRRRGGGHHH ! Je déteste quand ils font ça ! C'est si... laid !).
Sam, déjà en colère, a empoigné Bil par le cou, voulant le mettre à terre. Dans le mouvement tournant qu'il a opéré, ils sont tous les deux tombés mais... le front de Bil a rencontré l'arête du mur et il s'est mis à saigner abondamment.
Entre temps, Dor qui a une âme de justicière, est partie alerter le surveillant de la cour, puis les enseignantes qui déjeunaient... mais trop tard : tout a été si vite !
Sam, voyant ce qu'il avait provoqué, très ennuyé (d'autant que Bil est plutôt un ami habituellement), a demandé à le rejoindre à l'accueil où il avait été emmené pour se faire soigner et lui a tenu compagnie jusqu'à ce que sa mère vienne le chercher pour l'amener aux urgences. Il a beaucoup regretté son geste et l'a exprimé en public.
...
Voilà
...
Lorsque nous avons eu fini de reconstituer les faits, rien que les faits, j'ai posé la question :
- Alors, est-ce que Sam a pris la tête de Bil et l'a violemment frappée sur le sol ?
Beaucoup ont dit "non". Mais une voix a quand même répliqué, assurée, "oui !". C'était mon gros Sto, sûr de lui...
Je me suis étonnée :
- Sto, on vient de passer trois quarts d'heure à reprendre l'histoire point par point... a-t-on dit que Sam avait frappé la tête de Bill sur le sol ? Non ! Ils sont tombés tous les deux à la renverse !
- Mais c'est quelqu'un qui m'a dit...
Et me voilà prenant un quart d'heure supplémentaire pour expliquer ce qu'est une rumeur et les ravages qu'elle peut provoquer...
Mais il a fallu tout ce temps-là pour qu'enfin, la vérité des faits soit admise par tous et qu'ils prennent conscience de leur responsabilité à tous dans l'enchaînement de ces faits, par leurs encouragements - actifs ou passifs - à la violence, par la façon dont ils avaient relayé la rumeur...
Le cours d'Histoire est passé à la trappe.
Mais je crois qu'on n'a pas perdu notre temps !
PS : il n'y a pas de clous qui dépassent des bancs de la cour ; ils ont été refaits cet été et sont tout neufs !
PS : il n'y a pas de clous qui dépassent des bancs de la cour ; ils ont été refaits cet été et sont tout neufs !
12 commentaires:
Bonjour
du vrai petit Nicolas. Et la morale attendre que justice passe avant de lire ce qu'en disent les média qui répètent souvent comme des ânes et brodent.
bonne Journée
Hervé_c
t'es une chouette instit, tu sais?! ;-)
Un joli moment d'éducation, en tout cas... !
> Hervé
Certes, j'essaye de former les adultes de demain : des adultes qui garderaient un esprit critique et qui iraient à la source ou, au pire, confronteraient plusieurs sources avant de se faire une opinion...
> Bellzouzou
Merci ma côpine !
:o)
> Septentria
Oui... dans mon école pas ordinaire, on sait qu'on ne peut pas faire l'économie de ce genre de séance...
:o)
Mais la question des parents n'est pas réglée ! Tu refais la même séance avec eux ?...
On ne peut faire l'économie dans aucune école je pense. Et avec aucun enfant! Ça me semble cent fois plus utile qu'une petite phrase de morale écrite au tableau!
> Bidulette
Les parents devraient avoir des retours de leurs enfants à la suite de cette séance... pour les externes en tous cas.
Pour les internes, ils n'auront vu leurs parents qu'après la séance de débriefing... j'espère donc que leurs récits seront plus proche de la réalité des faits !
:o)
> Sosso
C'est certainement plus utile : on construit une morale commune sur la base de notre histoire collective...
Ouais y'a baston!
Bon, trêve de plaisanterie, la rumeur est effectivement terrible! Chez nous, vu qu'ils sont plus grands, ça devient plus orienté... "Ouais y'a machin qui a couché avec bidule" Machin étant un surveillant, et bidule une élève hein....
"Ouais, le prof de maths et la prof de svt ils sont ensemble... "
Et j'en passe et des meilleures!
Toi, tu fais partie de ceux qu'on évoque avec un peu de nostalgie, des années plus tard, en disant : "Je me souviens de cette instit que j'adorais, Mme Mistinguette..."
> Le dinosaure
Oui, au collège, les rumeurs sont terriblement destructrices... et cruelles, entre les élèves eux-mêmes.
:o(
> Céleste
Sur fesse-de-bouc, il y a une page dédiée à mon ancienne école. J'y suis allée voir : mes élèves d'il y a 20 ans ayant maintenant la 30taine (j'ai commencé en CM2), ils sont tous sur ce réseau virtuellement social. Il y en a un qui dit sur le "mur" :
- Hé ! Qui se rappelle avoir eu Mistinguette ? Elle était rigolote et elle sentait la cigarette !
...
Beeuuuuuh !
(depuis, j'ai arrêté de fumer, j'attends que la génération suivante arrive sur le net !)
:o)
hé bien ce n'était peut-être pas un cours d'histoire mais ce fut sûrement un très bon cours d'éducation civique (et je suis sûre qu'ils s'en souviendront un bon moment), l'école c'est aussi apprendre à vivre ensemble après tout ;-)
Ouep ! T'es une drôlement chouette instit.
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